By Christophe Passer
Matthieu Michel, arrêt sur trompette.
Les trompettes de la renommées swinguent de plus en plus fort
pour le Fribourgeois.
Il joue demain à Lausanne. Histoire et rencontre.
Fribourg, restaurant de la Grenette, fin des seventies. Un concert de
jazz. Pour satisfaire au cliché, on dira que les lumières
sont tamisées. Quelques musiciens locaux se régalent d’être
accompagnés par Jimmy Woode, longtemps bassiste de l’orchestre
de Duke Ellington. A la trompette, un gamin de 15 ans. Il s’appelle
Matthieu Michel. Il se débrouille comme il peut, il est là
pour apprendre. Jimmy Woode fait signe d’arrêter. Il regarde
le petit Matthieu, lui intime de prendre son solo. Tout seul. D’autres
tomberaient dans les pommes, Matthieu Michel y va. « Ce que j’ai
senti à ce moment, j’essaie aujourd’hui encore de
le retrouver. Il y avait juste cette contrebasse. J’avais l’impression
qu’elle me portait. Et Jimmy qui m’encourageait de la voix
». A la fin de ce solo-déclic, Matthieu Michel sait ce
qu’il cherche.
Lausanne, un bistrot à la mode, 1991. De l’autre côté
de la table, un trompettiste boit son café. Plutôt petit,
brun, moustache, barbe de quelques jours, Matthieu Michel est devenu
le plus écouté des souffleurs à pistons de Suisse.
Il a accompagné Michel Legrand, Ornette Coleman et Kevin Eubanks.
Des fans à l’air connaisseur vous murmurent qu’il
est désormais un des grands d’Europe. Matthieu Michel rigole.
Cet homme a oublié de frimer. Matthieu Michel sait qu’il
est timide.
Des histoires comme celles de Jimmy Woode à la Grenette suffisent
ailleurs à bâtir des légendes. A condition de remplacer
Fribourg par New York, la Grenette par le Vanguard ou le café
Bohémia. Mais d’où cet homme sort-il sa trompette
? Flash-back.
Courtepin, petit village perdu entre Fribourg et Morat, voit naître
Matthieu le 29 avril 1963. La campagne et l’usine : l’unique
curiosité du village s’appelle Micarna, autrement dit la
boucherie de Migros. Un de ces endroits qui font comprendre le blues
avant de le jouer. « La trompette c’était l’instrument
de mon père et mes deux frères. » Les deux frérots
feront d’ailleurs une carrière de trompettistes classiques.
En attendant, la famille Michel joue dans la fanfare de Courtepin. «
On ne peut pas dire que ce que nous y faisions me branchait vraiment.
»
Et puis, un jour, un de ses frères rentre à la maison
avec un disque sous le bras. « Un double album de Miles Davis,
avec des extraits de « Kind of Blue » et de « Sketches
of Spain ». Ce soir-là Matthieu Michel sait ce qu’il
aime. « Je ne connais pas l’harmonie. Je joue d’instinct.
J’ai passé des heures à refaire, en les suivants
note après note, les solos de Miles. » Il y a trouvé
un peu de son phrasé onctueux, sa précision, son sens
de la mélodie. La rencontre avec Jimmy Woode précède
un autre rêve : l’Amérique.
Le pianiste fribourgeois Max Jendly dirige – nous sommes en 1978
– un big band de jazz appellé le Grand Bidule. L’orchestre
sert de laboratoire d’étude à nombre de jeunes musiciens.
Cette année là, le Grand Bidule, dont Matthieu tient la
trompette, part aux Etats-Unis jouer dans quelques universités.
Avec un invité de marque : Clark Terry. Dans son autobiographie,
Miles Davis a cette phrase : « L’une des choses les plus
importantes qui me soit arrivée au lycée fut le voyage
de l’orchestre où je rencontrai le trompettiste Clark Terry,
qui devint mon idole. » Plus de quarante ans plus tard, Matthieu
Michel refait cette route.
A 18 ans, il est musicien professionnel. Une fois par mois, il prend
le train pour Vienne : Americo Bellotto, ancien trompettiste du formidable
big band de Thad Jones et Mel Lewis, lui donne des leçons. Matthieu
Michel sait le prix d’une passion. A part cela, il gagne sa vie
en tournant dans les bals régionaux. « On jouait Michael
Jackson et tous ces trucs du hit-parade. Du commercial, mais je m’amusais
bien. L’argent ? C’était toujours un stress. Maintenant
ça va. »
L’affaire berlinoise ensuite. « J’avais envie de voir
autre chose. » Et Bellotto, son prof, y a déménagé.
Huit mois à Berlin qui lui permettent aussi d’enregistrer
en 1986 un premier disque sous son nom, « Blue Light ».
Un disque curieux : Michel y a invité un second trompettiste,
Danny Hayes. Difficile de savoir lequel est entrain de jouer. Modestie
ou mauvaise idée ?: « A Berlin, je suis devenu très
ami avec Hayes ; on jammait ensemble, on sortait, on rigolait. Quand
le disque s’est fait, je lui ai simplement demandé de venir.
»
Matthieu Michel a aujourd’hui participé à une vingtaine
de disques, dont le merveilleux « Yves », avec son propre
quintette. En Suisse, il a souvent collaboré avec François
Lindemann (deux tournées aux USA) ou Thierry Lang, notamment
lors du dernier Festival de jazz de Montreux. « Quand tu joues,
en faisant des disques, c’est plus que la musique. Tu y mets toi-même.
Ce que je veux, c’est prendre des risques. Si ça marche
trop bien, si tout sonne trop juste, j’ai l’impression d’avoir
rien fait. J’aime bien qu’il se passe quelque chose d’inattendu.
» Les trompettistes qu’il admire sont d’ailleurs tous
des casse-cou : Miles bien sûr, qui vient de mourir, Chet Baker,
Art Farmer, Tom Harrel, le luganais Franco Ambrosetti. C’est vers
leur musique que sa balade le mène. Balade ou ballade ? Dans
le dictionnaire du jazz, on en donne la définition suivante :
mélodie populaire américaine de style « romantique
». Le cœur rivé à ces pistons, Matthieu Michel
peut faire d’une mélodie une histoire d’amour, d’un
tempo lent u crime passionnel. Au fond, cet homme sait qu’il est
romantique.